La ferme située à Kerguilan à Clohars Carnoet regroupe deux activités économiques distinctes: la ferme «LA BLEUD » et la cidrerie l’Apothicaire qui mutualisent les locaux, le matériel et la boutique.
Ce jeudi 29 février l’ambiance est animée : dès 17h00 une dizaine d’habitués font l’ouverture du magasin. Rien d’étonnant car l’offre est variée.
Le magasin paysan
C’est un véritable marché paysan qui propose, dans un lieu convivial, des produits des deux fermes du site : les cidres de l’Apothicaire et ses dérivés (vinaigre, eaux de vie,), les farines et l’huile de LA BLEUD (“farine” en breton) plus les produits de deux autres producteurs (poulets, pain).
La boutique semble de plus en plus connue de la clientèle locale et touristique.
LA BLEUD. En 2021, Simon Letourneux a repris l’exploitation familiale (polyculture et élevage) des grands parents maternels transmise à sa tante en 1990. L’activité vaches laitières s’était arrêtée en 2012.
Sa formation initiale est l’horticulture et le paysage.
Son objectif, c’est l’autonomie en productions de céréales AB sur la ferme et la meunerie en circuit court.
La conversion vers l’agriculture biologique a été engagée dès l’installation en mai 2021.
La ferme produit des céréales, des protéagineux, des oléagineux, pour la consommation humaine et animale.
L’APOTHICAIRE. Mathieu Huet a créé la cidrerie en 2018 : production et vente de produits naturels à base de variétés de pommes locales et anciennes ramassées sur des petits vergers non traités.
Jus de pomme 100% bio, vinaigre de cidre « à l’ancienne » certifiés biologique.
Les cidres brut et demi sec sont obtenus sans ajout de sulfites et avec une prise de mousse naturelle. Une partie de la production du cidre est certifiée bio.
Une partie du cidre produit par la cidrerie est transformé en eau de vie.
Ces produits sont commercialisés dans la boutique, auprès des crêperies et dans les magasins locaux.
Cette diversité nous la retrouverons tout au long de notre entretien avec Simon LETOURNEUX qui nous a accueilli dans l’espace de stockage du blé et du sarrasin.
Un seul tracteur (voir plus bas : les travaux) et Simon assure seul l’exploitation des 90 hectares en location. Son activité couvre donc toute la gamme de compétences, depuis le travail de la terre, l’organisation et la planification des cultures, la commercialisation jusqu’à la gestion de l’entreprise.
Tout repose sur la rotation des cultures, un des principes de base de l’agriculture biologique qui permet une fertilisation naturelle par les plantes, un entretien du sol et une maîtrise des adventices (mauvaises herbes) :
avec des associations légumineuses-céréales
un couvert végétal d’hiver, les cultures intermédiaires ou « cultures dérobées »
des jachères sous forme de prairies temporaires pendant 3 années.
Sur les 70 hectares, les cultures annuelles se succèdent sur une période de 10 années (succession culturale) suivant un assolement précis. Les surfaces de chaque culture peuvent varier et se se situent autour de 6 à 13 hectares.
Cet enchaînement sur 10 années correspond à une logique agronomique : prairie temporaire pendant 3 ans puis sarrasin, blé, colza, blé, féverole, tournesol, sarrasin.
La diversité, mûrement réfléchie, tient compte du terrain, de la nature, de l’organisation du travail et des marchés de alimentation animale et humaine.
Les dérobées ou cultures intermédiaires sont mises en place entre deux cultures principales. Ce couvert végétal permet de restituer au sol les matières organiques, d’entretenir la part d’humus et d’éviter que les nitrates finissent dans les eaux de ruissellement. Les dérobées les plus courantes : phacélie, trèfles, féverole, moutarde..
On peut citer en particulier le mélange céréalier : en poussant, la légumineuse comme le pois capte l’azote de l’air et contribue à l’apport d’azote pour la céréale.
Outre les vertus de cette association des culture, la diversité répond à deux objectifs : elle réduit les risques liés aux aléas climatiques et les risques liés aux marchés (évolution des cours).
Dans le cas de la ferme La Bleud, elle permet aussi des échanges multiples avec les autres agriculteurs, en quelque sorte la création d’une solidarité ou d’une inter dépendance au niveau du territoire avec les agriculteurs et aussi avec les habitants.
Cette insertion dans le tissu économique local s’applique aux travaux des cultures, à la transformation et à la commercialisation que nous abordons maintenant.
On peut citer en particulier le mélange céréalier : en poussant, une légumineuse comme le pois capte l’azote de l’air et contribue à l’apport d’azote pour la céréale. Quelques exemples :
l’orge peut être associé au pois pour améliorer la qualité de l’alimentation animale qui est sa destination. L’orge de printemps peut être aussi associé au lupin.
le blé tendre de printemps associé au blé tendre d’hiver permet de répartir le travail dans le temps, de partager le risque (le rendement peut osciller entre 25 et 40 quintaux à l’hectare et le fait d’avoir deux cultures améliore la probabilité d’avoir 30 quintaux et de parvenir aux 60 tonnes de grain annuel). Le mélange permet aussi d’avoir une farine plus équilibrée
La féverole (légumineuse) favorise la fixation de l’azote dans le sol peut être associée à la Triticale Simon a choisi d’associer du triticale dans la culture de féverole pour davantage couvrir le sol et limiter la pression des adventices. Le mélange n’a pas besoin d’être séparé à la moisson et peut être intégré tel quel pour de l’alimentation animale.
Le colza est semé fin août et récolté en juillet, c’est une huile appréciée pour l’assaisonnement. Alors que le tournesol a un cycle de culture plus court et il est plutôt adapté à la cuisson Les deux huiles sont vendues en circuit court et dans les épiceries. Elles sont pressées par une ferme de volaille (Kerguilavant) en échange des tourteaux qu’elle conserve.
La BLEUD est en bio. Pas d’engrais chimiques ni de produits phytosanitaires. Les dépenses concernent essentiellement la réalisation des travaux agricoles selon trois modalités :
Directement par la ferme : pour les travaux de désherbage mécanique,
Délégué à la CUMA de Carnoët pour la moisson. Simon assure les semis lui-même avec le semoir de la CUMA.
Prestation réalisées par une entreprise de travaux agricoles de Moëlan (ETA) pour les labours et l’épandage du fumier et du compost.
Les 7 silos de stockage du grain (1*50 tonnes, 4*33 tonnes, 16t et 12 t, soit 200 tonnes au total), sont équipés d’un système de tri, d’alimentation (godets, vis sans fin) et de ventilation.
Cet investissement important était nécessaire car il fallait pouvoir stocker les 7 variétés produites (sarrasin, blé tendre de printemps, d’hiver, seigle, féverole/triticale ; Orge ; tournesol ).
A droite on aperçoit deux des grands silos.
Un moulin à la ferme
Simon a choisi d’acquérir un moulin (15000 € ) mis au point par André et Pierre Astrié. C’est un outil bien adapté à une exploitation de petite taille.
Il permet de moudre 125 kg par jour.
A gauche on aperçoit le moulin qui est approvisionné par un tube provenant d’une trémie et qui sert 6 sacs situés sous le couloir en bois muni d’un tamis.
La farine T80 (semi complète) a été retenue pour ses qualités alimentaires, son rendement (moins de son perdu) et parce qu’elle répond à la demande des boulangers et des crêperies. Mais d’autres réglages (110 par ex.) son possibles.
On l’a déjà évoqué, une petite partie de la production (farine, huiles en bouteille) est commercialisée directement via le magasin.
La féverole, l’orge sont vendus aux éleveurs, c’est encore le cas pour le seigle mais en 2024 il pourra également être vendu en farine.
Le sarrasin est commercialisé en grain et prochainement en farie. Son prix n’a pas chuté depuis deux ans car la région est encore largement déficitaire (note : 3000 tonnes produites en 2023 en augmentation mais 70 % est encore importé). Même si le rendement est inférieur, le prix de vente à la tonne est supérieur à celui du blé.
Pour le blé, en 2023 les 4/5ème sont commercialisés aux éleveurs via la Coopérative EREDEN (ex COPAGRI) qui fixe les prix (en deux ans le blé meunier bio est passé de 450 à 300 € la tonne).
En résumé, on retrouve trois types de marchés :
Le passage au Bio. La Bleud est en cours d’agrément bio : La conversion bio des terres a été obtenue en mai 2023. L’ensemble des récoltes sera certifié bio à l’été 2024. La production de sarrasin est déjà bio La récolte de blé 2024 sera donc bio.
Simon participe au Groupement des Agriculteurs Bio (GAB 29), en particulier pour élaborer un projet de filière de farine bio bretonne qui permettrait de s’affranchir de la dépendance à l’égard des coopératives qui tiennent le monopole de la distribution.
Il a également intégré le collectif GIEE et Céréales Bio Panifiables Relocalisées (CPPR) en Bretagne.
L’équilibre d’exploitation. Si l’amortissement de l’investissement matériel est raisonnable (peu de matériel, essentiellement les silos), l’entreprise doit trouver son équilibre entre les charges ( location des terres, des matériels et des services) dans un contexte ou le prix des céréales bio a baissé plus rapidement que le conventionnel.
Les matières première bio subissent les conséquences de la baisse de consommation des produits bio (en raison de la baisse du pouvoir d’achat) et de l’augmentation de la production bio.
L’équilibre du compte d’exploitation repose donc largement sur la production de produits finis, notamment la farine. En 2023 moins de 20 % de la production est transformée en farine (9 tonnes sur 60 tonnes). Le prix de la farine en sac est plus intéressant que le vrac (2000 contre 300 € la tonne) mais la vente n’est pas réalisée aussi rapidement que pour le vrac.
Avec 1 tonne de blé on produit 750 kg de farine le coût du grain dans un kg de farine est donc de 0,4€ pour un prix de 1,3€. Le ratio est donc de 1 à 3, ce qui justifie pleinement le travail de transformation et de commercialisation.
L’influence d’une ferme sur son environnement local est trop rarement évoquée. Nous avions déjà abordé cette question à propos de l’élevage de porcs sur caillebotis (qui importe du soja et exporte du lisier et des carcasses).
Outre l’amélioration des sols sur les 90 ha (y compris la restauration des haies), les contributions de LA BLEUD à l’activité locales sont nombreuses aux 3 phases du processus : par ses achats (fumures, ), par le recours aux prestations, par les ventes (tourteaux pour l’élevage, aliments humains aux boulangeries, creperies..
Dans les médias, la situation de l’agriculture, considérée en général, nous est souvent présentée de manière quantitative et simpliste :
On découvre ici un une activité plus élaborée aux trois phases du processus :
Enfin, elle s’intègre bien dans la vie rurale locale et représente une précieuse contribution à l’équilibre du territoire.
Cette contribution mériterait d’être plus justement rémunérée !