agriculture et écologie.partie 2
Paysans-Histoire d'une extinction de masse
Cette crise agricole était prévisible, c’est l’histoire d’une évolution, d’une grande modernisation agricole:
-remembrement
-mécanisation
-agrochimie
Modernisation décidée en 1946 et organisée d’une main de fer par l’état et une puissante élite agricole acquise au productivisme .
Dans un article passionnant publié le 13/12/2022 Socialter raconte le processus:
http//www.socialter.fr/article/paysans-histoire-d’une-extension-de-masse
Un tel bouleversement sociétal n’a pu se faire qu’avec le soutien d’un syndicat agricole, la FNSEA.
Combinant une production et une consommation de masse, dans une économie fortement régulée par l’état , «la concentration des moyens de production, des terres, peut être considérée comme une spoliation d’espaces au profit exclusif d’acteurs s’inscrivant dans la logique du capitalisme industriel»
cf «l’expropriation de l’agriculture française»
La course au productivisme agricole permet d’équilibrer la balance commerciale , de libérer des bras pour l’industrie..« les trente glorieuses!!!»
Mais ces records de production n’empêchent pas la colère de gronder dans les années 70.
Avec les tracteurs, la mécanisation.., l’endettement est arrivé dans les fermes.
Dans son livre paru en 1970 «les paysans dans la lutte des classes , la prolétarisation des éleveurs» l’éleveur Bernard Lambert explique que plutôt que des chefs d’entreprise, ils sont devenus des travailleurs à domicile, rémunérés à la tache, mais supportant seuls les risques de la production .
Bernard Lambert est exclu de la FNSEA pour gauchisme. Les critiques fusent contre la mainmise des riches céréaliers et betteraviers,
L’analyse de B Lambert trouve un écho lors de la grande grève du lait en 1972 contre la baisse des prix imposée par les laiteries.
Le rapport de force est déjà inégal, la revalorisation obtenue après des semaines de grève et manifestations , est vite remise en cause.
Et la mouvance des «paysans travailleurs» restera minoritaire au sein du monde agricole.
-Dans les années 80, la surproduction chronique de denrées alimentaires devient un problème public.
A l’époque, la PAC ( politique agricole commune) créée dans les années 1960 pour inciter à la production, garantit un prix minimum aux agriculteurs.
Lorsque le marché descend en deçà, les autorités achètent et stockent les excédents.
Cette politique interventionniste de régulation des prix va être complètement abandonnée dans le tournant de la doxa libérale des années 90.
Les règles de la PAC sont modifiées à trois reprises ( 1992, 1999, 2003 ) pour faire entrer l’agriculture européenne dans une ère de concurrence nouvelle.
Les mécanismes qui protégeaient le marché commun des importations sont démantelés.
Et rapidement les prix s’alignent sur les cours agricoles mondiaux.
Face à une diminution de leur revenu, les agriculteurs n’ont pas d’autre choix que s’agrandir pour augmenter leur production.
D’autant plus que le nouveau système d’aides de la PAC, calculées sur la surface des fermes, incite à accumuler des terres.
Ces politiques publiques favorables aux acteurs les plus puissants du secteur, trouvent leur origine dans la « grande porosité » de l’état aux intérêts de l’élite agricole, incarnée par les patrons céréaliers, liés à l’agro-industrie, qui dirigent la FNSEA.
Il arrive régulièrement que des technocrates du ministère de l’agriculture terminent leur carrière à la tête du lobby exportateur Céréalier de France
l'agriculture en 2024
«Le malaise est profond et révèle un modèle à bout de souffle et une profession en pleine crise existentielle» Obs du 1/02/2024
«Depuis des décennies, de crise en ras le bol, la détresse des agriculteurs éclate en coups de colère. Détresse profonde et souvent silencieuse de ces paysans qui déplorent le plus de suicides en France, plus de 560 par an» OF du 27/01/24
Le mythe d’une unité paysanne est une illusion « aucune autre branche professionnelle n’affiche de telles disparités de revenus» le sociologue F Purseigle,
Selon l’Insee, les exploitants de grandes cultures ( betteraves blé) touchent un revenu 54% supérieur à celui des éleveurs de viande bovine.
L’agriculture, ce sont des singularités de filières et de territoire.
L’agriculture en 2024
Conséquences de ce modèle productiviste:
-concurrence de l’agrobusiness mondialisé
-Quasi extinction du modèle de l’exploitation familiale
-Surendettement et suicides
-Pollution de l’eau, de l’air, épuisement des sols
-Diminution drastique de la biodiversité
-Coût de plus en plus en plus élevé du traitement de l’eau ,et problème de la gestion de la ressource.
Les paysans sont aujourd’hui une espèce en voie de disparition
-7,4 millions en 1946 : 1 actif sur 3
-1,6 million en 1982 ( 7% )
-400000 en 2024 (1,5 %)
La concentration du capital agricole est en œuvre, essor des grandes exploitations qui couvrent aujourd’hui 40% du territoire et représentent une ferme sur 5 avec une surface moyenne de 136 ha .
Les agriculteurs juchés sur leurs tracteurs se sont mués en techniciens d’une filière industrielle.
Les cultures sont de plus en plus sous traitées auprès d’entreprises agricoles.
«C’est l’émergence d’agriculture sans agriculteurs, ou dirigée par des chefs d’entreprise .Une évolution vers une agriculture de firme, multi localisée, recourant à des capitaux externes et au salariat, l’ultime étape de l’absorption de l’agriculture par le capitalisme»
«Que ce soit d’un point de vue économique, social ou écologique, l’agriculture est dans un état catastrophique» un conseiller du gouvernement.
Obs du 1/02/24
Jamais le secteur n’a compté aussi peu de jeunes et d’ici à 2026, la moitié des chefs d’exploitation auront l’age de partir en retraite.
Seulement 20% des fermes ont une chance d’être reprises par un membre de la famille.
Pour les nouveaux venus, l’installation est un chemin de croix, « le ticket d’entrée » ne cessant d’augmenter .Témoignage d’un Jeune Agriculteur du canton de Quimper « Avant de s’installer, il faut payer”
La question du revenu.
Harassant avec des semaines de 55 heures en moyenne, le métier est peu rémunérateur, les deux tiers des revenus des ménages agricoles proviennent d’autres activités ( soutien du conjoint, deuxième emploi salarié). Beaucoup d’agriculteurs n’arrivent pas à subvenir à leurs besoins malgré 70 à 90 heures par semaine.
En 2019, 18% des membres des ménages agricoles vivaient sous le seuil de pauvreté.
Sur une tendance longue, viticulteurs et céréaliers ont les revenus les plus élevés , alors que que les éleveurs de bovins ont les revenus les plus bas.
Moyenne du revenu mensuel moyen des agriculteurs en 2021 en France métropolitaine 1787€–
OF du 25/01/24 –
du département le plus élevé le Val de Marne 3807 € au plus bas l’Ariège 765 €.
La France agricole est divisée en 2 parties: Le Nord et le Centre avec des revenus décents voire élevés dans la Beauce et la région bordelaise, le Sud avec des revenus très bas.
-5 départements au dessus de 3000 €
-8 départements de 2500 à 3000€
-20 départements de 2000 à 2500 € (Finistère)
-28 départements de 1500 à 2000 € (10 de l’Ouest)
-21départements de 1000 à 1500 €
-9 départements à moins de 1000 €
Après deux années exceptionnelles, le revenu agricole en 2023 a baissé en moyenne de 10 %.
L’agriculture française décline.On risque bientôt d’importer plus de produits qu’on en exporte.
La France était le deuxième exportateur de produits agroalimentaires en 2002. Elle pointe désormais à la cinquième ou sixième place…Et sans les vins et spiritueux ( + 15 milliards €) , le secteur serait dans le rouge depuis 2016 !!
Le déficit commercial en fruits et légumes est criant : – 7 milliards €.
Près d’un fruit ou légume sur deux consommé en France est importé, 25% de la viande de porc, 34% de la volaille, globalement 20% de l’alimentation est importée et un quart de ces produits ne respectent pas les normes sanitaires minimales.
Cf France Info
Une crise européenne et l’échec de la PAC
«la colère agricole révèle les limites de la Pac» OF du 27/01/24
Les aides européennes ne répondent pas à la volatilité des prix agricoles.
Premier poste budgétaire de l’UE (30%) la PAC en euros constants a fondu de 90 milliards € depuis 20 ans, une baisse de 21%.
Les États Unis subventionnent plus leurs agriculteurs: 323€ par habitant contre 213 € en Europe.
«ils sont sortis des règles de l’OMC que plus personne ne respecte .. sauf l’UE. »
« en sécurisant les revenus des agriculteurs, vous augmentez la production agricole.Les chinois ont cet objectif.Mais ce n’est pas la stratégie de l’UE ».
La mobilisation des agriculteurs en ce début d’année 2024
Paroles d’agriculteurs désespérés
-en Occitanie, plus grande région agricole mais aussi la plus pauvre: Obs du 01/02/24
C’est dans un petit village, près d’Albi fin octobre 2023, que tout a commencé, quant trois éleveurs ont retourné le premier panneau communal déclenchant l’opération «on marche sur la tête» une façon de dénoncer l’absurdité des innombrables règles qui selon eux, asphyxient la profession. D’autres paysans les imitent, près de 20 000 panneaux sont retournés partout en France.
Deux mois plus tard, le Tarn est aux avant postes pour la lutte pour une agriculture plus digne et moins contraignante.C’est une région qui cumule les difficultés :
-géographiques (petites fermes familiales de montagne -climatiques avec le vent d’autan et des températures excessives pour les cultures (gel tardif- sécheresses)
-sanitaires (grippe aviaire puis bovine, mildiou, et la maladie hémorragique épizootique qui a touché beaucoup d’élevages.
«Petit on en rêve, grand on en crève»
«sans les subventions, on meure»
« La concurrence déloyale nous tue à petit feu»
Ce qui les met à terre, les tomates d’Espagne, les citrons du Maroc, le quinoa de Chine, le bœuf et le mouton de Nouvelle Zélande que les français à l’affût de bonnes affaires mettent dans leur caddie dans jeter un œil à leur provenance.«Le «pas cher»dicte ses règles»
Chaque jour, entre quatre et cinq exploitations disparaissent en Occitanie, laissant sur la paille ceux et celles qui les ont fait grandir,
Fabien , un jeune maraîcher «à 50 centimes le kilo de courges, je fais comment pour vivre?» .Il ne se paie pas et son épouse a du reprendre un travail chez Macdonald «si ça continue comme ça, on arrête»
Tous pointent la responsabilité des centrales d’achat qui ne respectent pas la loi Egalim et le juste prix mais aussi les consommateurs «les gens dépensent les yeux fermés pour leur téléphone mais achètent au moins cher pour l’alimentation»
Même lassitude chez Nicolas et Romain éleveurs laitiers qui s’étaient convertis dans le bio et qui ont du revenir en arrière l’an dernier « vous vendez votre lait à 42 centimes en conventionnel et à 47 centimes en bio, alors qu’il vous revient plus cher à produire.
Ensuite vous le voyez en rayon jusqu’à 2,10 €.Ou va le pognon? »
«Sans la PAC, on ne vit pas. Par la force des choses, on est devenu des chasseurs de primes» admet Romain qui gagne à peine 900€ par mois,
«On est pied et poings lié» rouspète Christian.Car pour toucher les aides de la PAC, le moindre acte doit être enregistré, justifié, codifié, soit la moitié du temps de travail de sa femme, «c’est infernal, des pages et des pages»
-en Bretagne, les agriculteurs Finistériens ont été les premiers bretons à se mobiliser: OF du 28/01/24 édition spéciale
-Pauline 26 ans et Sandra 27 ans, toutes deux éleveuses de vaches laitières ont rejoint leurs collègues agriculteurs le 24 janvier sous le pont du Rouillen, près de Quimper.
Pauline « il y en marre, il faut que l’on puisse vivre de notre métier»
Sandra «je suis installée depuis un mois et c’est une vraie galère au niveau paperasse »
Pauline « l’installation est un vrai parcours de combattant.Je comprends que certains explosent»
-Un paysan vendéen de la coordination rurale «On n’en peut plus, on n’a plus rien, il faut en urgence soulager les trésoreries, décaler les échéances, une année blanche à la MSA… Sinon c’est la mort qui nous attend aujourd’hui »
Les militants de la coordination sont méfiants vis à vis de la FNSEA accusée de cogestion systématique avec le gouvernement.
Elle dénonce des solutions de surface et réclame des annonces de fond comme l’arrêt des accords de libre échange (Mercosur )
-Au départ absent des premiers barrages,Bastien,éleveur bio en polyculture et élevage à Daoulas , affilié à la Confédération Paysanne a manifesté le 27 janvier.
« c’est un métier d’avenir, en lien avec l’environnement et la vie locale, sauf que nous sommes la variable d’ajustement de l’agro -industrie ,des supermarchés et des pouvoirs publics”